Punition collective ?

Les mots ont un sens.

Telos sans filtre
4 min ⋅ 21/10/2023

Gaza, Tel Aviv, Le Caire, Londres, Paris, le 20 octobre. Au départ, ce sont les ONG qui ont lancé l’expression. Un communiqué de Médecins sans frontières, le 12 octobre, appelle à faire cesser « la violence indiscriminée et la punition collective de Gaza ».

Intuitivement, chacun saisit de quoi il s’agit : Israël est invité à ne pas confondre volonté de sécurité et désir de vengeance – un terme employé par le Premier ministre Benjamin Netanyahu le 8 octobre, et qui a fait débat, car s’il figure régulièrement dans les déclarations du Hezbollah et par l’extrême droite israélienne, il n’appartient pas au vocabulaire de l’État hébreu. Netanyahu, ici, a franchi une ligne.

Mais l’expression « punition collective » va un cran plus loin. Les actions qu’elle recouvre relèvent du crime de guerre.

Un rapport d’Amnesty International sur la situation en Afghanistan, en juin, s’y référait : « Les talibans commettent un crime de guerre en infligeant une sanction collective à la population civile de la province du Panjshir en Afghanistan. » Ce rapport recensait des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture et des arrestations et détentions arbitraires à grande échelle.

En parlant de vengeance, Netanyahu a ouvert la boîte de Pandore, et Israël se voit accuser de mettre en œuvre une punition collective à l’encontre des habitants de Gaza. C’est l’explosion à l’hôpital al-Ahli, d’abord imputée à un missile israélien, qui met le feu aux poudres.

Le président égyptien Abdel Fattah Al-Sisi emploie l’expression dans une déclaration au secrétaire d’État américain Anthony Blinken en visite au Caire le 16 octobre.

Le Premier ministre britannique Rishi Sunak, à qui l’opposition demande instamment d’utiliser cette formule le 17 octobre à la Chambre des Communes, refuse de l’endosser.

Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, n’a pas la même réserve. S’exprimant depuis la Chine, il estime le même jour, après l’annonce d’une frappe sur un hôpital civil à Gaza, que l'attaque du Hamas en Israël ne pouvait « justifier la punition collective des Palestiniens » de Gaza.

On laissera ici de côté la classe politique française, à qui manifestement ces distinctions échappent.

Les Israéliens quant à eux récusent le terme et écartent tout assouplissement des règles d'engagement de leur armée. Dans le cas de l’hôpital al-Ahli, ils imputent l’explosion à un tir raté de l’organisation Jihad islamique palestinien, dénonçant le retournement opéré par la propagande du Hamas.

Il y a ici deux lignes rouges. Celle de l’action. Dans sa réponse, Israël a-t-il franchi et va-t-il franchir les bornes du droit ? C’est une question légitime, qui devra être posée méthodiquement et sérieusement.

Mais la deuxième ligne rouge est celle de la qualification. Rishi Sunak ne s’y est pas trompé : une chose est de poser des questions, une autre est de qualifier prématurément une action de crime de guerre et d’imputer sa responsabilité.

Le Hamas assume parfaitement de son côté d’avoir passé la première ligne rouge, et cela signe sa différence. Ce n’est plus seulement de barbarie qu’il est question ici. Un acte de guerre contre des civils à grande échelle, comme le rappelait avec force Pierre Rigoulot sur Telos mardi 10 octobre, procède d’une pensée totalitaire.

Plus largement, l’idée de punir un peuple appartient au répertoire des totalitarismes. C’est ce que nous rappelait sur Telos Kristian Feigelson, dans un article paru en avril 2022, « Les peuples punis de Vladimir Poutine ».

En Ukraine, Poutine a réactivé un imaginaire de la punition « mobilisé sous Staline non pas seulement contre des individus mais contre des peuples entiers. On criminalisait les peuples de la périphérie de l’Empire hostiles au pouvoir soviétique et coupables de n’avoir pas accepté la collectivisation. L’Ukraine des campagnes fut elle aussi victime d’une action punitive de grande ampleur, avec le Holodomor, la grande famine de 1932-1933 qui fit près de quatre millions de morts (sans oublier 1,5 millions d’autres au Kazakhstan). »

« Qui punit-on ? Un peuple dont la volonté d’indépendance est rabattue sur des défauts (infidélité, ingratitude), sur une faute, sur un crime, sur un nationalisme confinant au fascisme et prêt à toutes les exactions. Un peuple qui devient un criminel qu’il faudra punir. »

Tout confondre est le propre des régimes totalitaires. C’est l’honneur des démocraties que de s’y refuser. Et aux responsables politiques de savoir que les mots ont un sens.

Au menu de Telos, cette semaine :

Inégalités: le diktat du 1%

Olivier Galland, le 16 octobre 2023

La lecture des inégalités de revenus qui oppose les 1% les plus riches au reste de la population est devenue, depuis que Thomas Piketty l’a introduite, un indicateur standard. Mais il a des limites qu’explore cet article. Il est aussi utilisé à des fins politiques.

Comment ne pas jouer le drôle de jeu de l’Arabie Saoudite

Éric Chaney, le 17 octobre 2023

L’augmentation des prix des carburants est devenue un sérieux casse-tête pour le gouvernement, pressé d’agir pour protéger les consommateurs. Les autorités des pays importateurs ne maîtrisent pas l’origine du choc provoqué essentiellement par la hausse du brut. Pour réfléchir à une réponse politique adaptée, il faut d’abord s’interroger sur les causes de la hausse.

L’automobile électrique pourra-t-elle accompagner la réindustrialisation?

Pierre-André Buigues et Denis Lacoste, le 18 octobre 2023

La réindustrialisation de la France est devenue une priorité. Compte tenu du poids économique de la filière automobile, on ne peut l’envisager sans que cette industrie soit largement impliquée. Pour le gouvernement, la transition vers les véhicules électriques pourrait être une formidable opportunité pour enrayer enfin le déclin de la production de voitures en France et amorcer rapidement la réindustrialisation. Est-ce crédible ?

Hamas-Israël, le jeu de l’Iran

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Les puissances étatiques régionales, et notamment l’Iran, n’ont pas intérêt à une extension du conflit. Mais elles n’en maintiennent pas moins une dynamique d’escalade, attisée par les acteurs non étatiques. Des événements locaux pourraient avoir des conséquences militaires pour la stabilité régionale et internationale.

Julia Cagé et Thomas Piketty ou la science politique à l’estomac

Alain Bergounioux & Gérard Grunberg, le 20 octobre 2023

Une histoire du conflit politique, le livre de Julia Cagé et de Thomas Piketty paru en septembre, a une ambition: tirer de plus de deux siècles de résultats électoraux des conclusions pour l’avenir de la gauche, en France et même en Europe. Une ambition, donc, à la fois scientifique et idéologique. Ces deux dimensions fortement intriquées font le problème du livre. Toutes deux appellent une discussion qui, jusqu’ici, n’a été que peu menée.

 

 

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