Shenzhen, le 13 janvier. La nouvelle est passée inaperçue et pourtant elle est d’importance. Les exportations chinoises se sont contractées de 4,6 % sur l'ensemble de l'année 2023. Ce n’est pas la première fois, puisqu’un léger recul avait déjà été enregistré en 2016. Mais cette fois c’est différent, comme dirait Carmen Rheinardt. Car derrière le recul de l’oncle Xi, il y a l’IRA de papy Joe.
Le thème de la démondialisation revient ainsi sur le devant de la scène. Faut-il le prendre au sérieux ?
Sur Telos, en une décennie nous sommes passés d’un extrême à l’autre. Au début, il faut bien l’avouer, ça nous semblait drôle.
C’était en mai 2011, et Eddy Fougier brocardait dans nos colonnes cette formule à la mode qui était alors la nouvelle lubie d’Arnaud Montebourg. Oui, le flamboyant Montebourg, celui-là même qui a annoncé cette semaine qu’il soutiendra la liste de Léon Defontaine aux Européennes. En 2011, c’est pour la démondialisation qu’il proposait de voter (si, si, c’était même le titre de son livre : Votez pour la démondialisation, Flammarion). Eddy Fougier s’amusait à cartographier toute la galaxie démondialiste, du gentil Montebourg au plus inquiétant Jacques Sapir, en passant par l’altermondialisme dont la mondialisation était une « dégénérescence ».
L’altermondialisme s’est abîmé corps et biens dans les oubliettes de l’histoire, Montebourg s’est lancé dans l’apiculture made in France, et Sapir est passé du côté obscur de la force.
Mais la démondialisation n’a pas disparu. Elle a simplement cessé d’être un programme politique pour devenir une réalité.
Oh, rien à voir avec les prophéties de 2011. Si elle a bien été poussée par des clowns, elle n’est pas venue de la gauche, mais de la droite.
Les Brexiters. Trump. Et les Démocrates de Biden à la suite de Trump, pour tenter de récupérer les ouvriers des swing states emportés dans la vague populiste, ce que Pascal Lamy a appelé le « lent virage protectionniste américain ». Et son pendant européen.
Bien sûr, à Washington comme à Paris et à Berlin, on s’est montré aveugle devant les dégâts économiques, sociaux, et politiques de l’ouverture des marchés. Mais le coup de frein est brutal. Et l’envers de l’intégration commerciale, c’est la désintégration de l’ordre international.
Oui, le doux commerce est un facteur de paix. Oui, les démondialistes sont belliqueux. Oui, ce qui retient la Chine de fondre sur Taiwan ce ne sont pas seulement les avions de l’oncle Sam, mais le risque économique.
Il faut donc prendre très au sérieux ce qui se joue aujourd’hui sur les échanges commerciaux, notamment si l’Amérique continue son retrait. Le 3 avril 2019, au plus fort du premier mandat de Trump, Peter A.G. van Bergeijk pointait, dans un article intitulé « L’Europe à l’ère de la démondialisation », que le risque d’un effondrement du multilatéralisme ne vient pas des marges du système, mais de son centre :
« Il est révélateur, triste et ironique que les bâtisseurs de l’ordre libéral multilatéral après la Seconde Guerre mondiale soient aujourd’hui les pionniers de la démondialisation. (…) L’hegemon existant peut réagir à la menace d’être remplacé en amorçant un retrait vers un protectionnisme ou un isolationnisme, ouvert ou caché. L’érosion de l’hégémonie peut donc conduire à une fermeture systémique. »
En attendant, Telos reste ouvert. Au menu cette semaine :
Le 8 janvier, une note de lecture de Dominique Schnapper : Les démocraties et leurs ennemis
La bibliothèque de Telos vient de s’enrichir de deux ouvrages importants écrits par Timothy Snyder, professeur à l’université de Yale, et Yascha Mounk, professeur à l’université Johns Hopkins, qui viennent d’être traduits en français. Sur des sujets apparemment étrangers l’un à l’autre, ils concourent à nous faire penser avec justesse un monde en plein éclatement ainsi que le danger dans lequel se trouvent les démocraties.
Le 9 janvier, une note d’Olivier Galland et Gérard Grunberg qui rebondit, données à l’appui, sur notre dernier édito : L’immigration: une question économique, ou culturelle et politique?
La loi récemment votée au Parlement sur l’immigration met principalement l’accent sur des questions économiques (les fameux «métiers en tension») ou financières (le coût supposé des prestations sociales délivrées trop généreusement et trop rapidement, selon la droite, aux immigrés). Nous laissons le traitement de cet aspect de la question aux économistes. Mais est-ce vraiment la question principale ?
Le 10 janvier, un article d’Étienne Wasmer qui ne manquera pas de faire débat : La taxe foncière est-elle injuste? Réflexions sur la richesse immobilière
Trois publications récentes ont relancé le débat sur la taxation de la richesse immobilière. Ce sujet mérite d’être investi intellectuellement et politiquement, car il ouvre de nouveaux espaces pour optimiser notre système fiscal.
Le 11 janvier 2024, la suite des aventures de Monique Dagnaud dans l’Assemblée des jeunesses organisées par Ashoka : Démocratie participative: une épreuve initiatique pour les jeunesses
Depuis le Parlement des enfants en 1994, les rencontres destinées à faire émerger la parole citoyenne des nouvelles générations se sont multipliés, une tendance encore intensifiée par les mobilisations de la jeunesse sur le dérèglement du climat. Or ces processus délibératifs posent une question majeure: comme assurer une qualité délibérative avec de mini-publics peu habitués à la prise de parole publique et peu formés aux enjeux de société dont la complexité engage des connaissances approfondies ?
Le 12 janvier, un article de Thierry Chopin, Quel projet politique pour les élections européennes?
Les élections de 2024 pourraient confirmer une forme de «normalisation» de la vie politique européenne: le débat européen n’est plus réduit au clivage pour ou contre l’UE. Mais face à la forte dynamique des droites radicales, le risque est très fort que les forces politiques modérées soient seulement en réaction, se laissant imposer les termes du débat. Quel pourrait être un projet alternatif ?
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