Habits neufs et vieilles rengaines

Notre hommage aux maoïstes français.

Telos sans filtre
4 min ⋅ 03/02/2024

Dans votre écran de télévision, le 3 février 2024. Ils sont tous là. Ceux qui en sont revenus comme Glucksmann ou Sollers, ceux qui y sont restés comme Badiou. Cette secte étrange a cultivé pendant quelques années une hallucination collective d’une rare intensité.

Vieille histoire, nous direz-vous. Faut-il vraiment y revenir ? Il n’en reste que des images en noir et blanc.

Détrompez-vous.

Une vieille histoire, la base contre le sommet ? Tout un pan de la science politique française contemporaine tient dans cette phrase prononcée par André Glucksmann en 1970 : « Il y a la révolution en Chine, la révolution culturelle, qui implique un bouleversement de la base au plafond. Et alors évidemment les spécialistes du plafond, les professeurs, sont quelquefois choqués. »

Une vieille histoire, la fascination pour des leaders charismatiques qui montrent leurs muscles ? (Pauvre Kim Jong-un : Poutine, Xi, Chavez et les autres doivent bien se moquer de lui, c’est le seul qui n’ait pas son fan club.)

Une vieille histoire, le tropisme tropical des amateurs de révolution, qui s’exaltent d’autant plus que les pauvres gens qu’on rééduque vivent à l’autre bout du monde ? (Après avoir répété vingt fois « tropisme tropical », vous pourrez filer à Cuba et vous plonger dans la lecture de Tres Tristes Tigres.)

Le maoïsme français, dans son étrangeté loufoque, apparaît comme un moment de cristallisation où se joue une scène primitive de notre histoire collective. Un modèle s’élabore, capté par la télévision qui devient alors LE média de référence. Des artistes radicalisés (Godard, Sollers) rejoignent des communistes en mal de modèle (maudit Khrouchtchev, fichu XXe congrès !), s’allient avec des intellectuels eux-mêmes soutenus par des coiffeurs audacieux (Glucksmann, toujours Sollers), et une presse en miroir de la jeunesse révoltée (Libé déjà) pour se pâmer devant une expérience révolutionnaire parée de toutes les vertus.

Et tout ce petit monde donne des leçons, s’exalte, dénonce toute opposition comme une social-traîtrise réactionnaire, disqualifie allègrement la réalité au nom du rêve et de l’idéal.

Ils sont toujours là.

Et en face, bien seul pendant un temps, il y eut Simon Leys. La lecture des Habits neufs du président Mao (1971) reste hautement recommandée. Vous pouvez aussi regarder, ce soir sur Public Sénat, le documentaire de Fabrice Gardel, Simon Leys, l'homme qui a déshabillé Mao, avec d’étonnantes images d’archives.

Grande figure, Simon Leys. Qui nous rappelle que pour une partie du monde intellectuel, ces années « Mao » ont été au contraire celles de l’antitotalitarisme. Un héritage qu’il faut porter et revisiter, car le totalitarisme n’est pas mort – ni comme expérience exotique, ni comme objet de fascination pour les élites éduquées de France et d’ailleurs.

Sur Telos, par effet de génération peut-être, nous avons une sensibilité très vive sur ces questions. Quelques articles récents vous donneront une idée de ce qui, selon nos auteurs, se rejoue aujourd’hui.

« Agent étranger »: le retour discret du totalitarisme

Le 22 novembre 2023, Kristian Feigelson et Valéry Laigre (un auteur russe sous pseudonyme) expliquent par le menu le nœud coulant des législations successives dans la Fédération de Russie.

7 octobre 2023 : la pensée totalitaire à l'œuvre

Le 10 octobre 2023, Pierre Rigoulot donne une lecture éclairante du pogrom perpétré par le Hamas le 7 octobre, en rappelant que la pensée totalitaire « déshumanise toujours une partie de l'humanité ».

Le retour du totalitarisme soviétique

Le 9 mars 2022, deux semaines après l’attaque contre l’Ukraine, Gérard Grunberg écrit que le mot totalitarisme ne doit pas être prononcé à la légère, mais qu’il s'impose pour décrire l'évolution de la société russe. Il revient aussi sur la falsification du réel consubstantielle à ces régimes qui glissent de l’autoritarisme au totalitarisme :

« Cet art du mensonge est une seconde nature de ces régimes totalitaires où le pouvoir considère que toute personne qui s’écarte du discours officiel est à la fois un ennemi à abattre et un personnage sans valeur qu’il faut traiter par l’injure et le mépris. Rappelons le temps où Alexandre Fadeïev, au Congrès mondial des intellectuels pour la paix, en 1948, avait qualifié Jean-Paul Sartre, absent de la cérémonie, de « chacal muni d’un stylo » et de « hyène dactylographe ». Aujourd’hui les « ennemis de l’intérieur » ne sont pas beaucoup mieux traités qu’hier, même si les procès de Moscou ne sont pas réapparus : assassinats de journalistes, empoisonnement d’opposants, tel Alexeï Navalny, condamné à une lourde peine de prison, rafles par milliers de manifestants contre la guerre. « L’opération spéciale » en Ukraine s’accompagne à l’intérieur du recours à des mesures totalitaires pour contrôler la population russe. Ainsi, les parents d’élèves ont reçu des avertissements des écoles leur enjoignant de surveiller l’utilisation par leurs enfants des réseaux sociaux. Dans les écoles, les élèves assistent à des sessions spéciales destinées à leur inculquer la ligne officielle. La censure d’Internet se fait de plus en plus complète. Il s’agit de déconnecter la population russe du monde extérieur. On assiste ainsi à une résurgence du cauchemar stalinien. »

Et cette semaine, sur Telos ? Il y avait de beaux textes, dont certains font écho à cette inquiétude.

Le 2 février, un témoignage en forme de réflexion d’un « honnête homme israélien », Marc Lefèvre.

Israël, la compassion perdue

L’ordre va-t-il sortir du chaos ? Le chaos des divisions internes à la société israélienne, des affrontements presque irréconciliables entre des conceptions antagonistes de ce que doit être un État juif ? Un État démocratique et respectueux des droits et aspirations des minorités ? ou suprémaciste ?

Le 1er février, une mise au point de Dominique Finon sur les confusions ambiantes autour du scénario Net Zéro.

Arrêter les industries fossiles en urgence: est-ce si évident ?

En avril 2021, l’Agence internationale de l’énergie (AIE), publiait son rapport Net Zero Emissions in 2050 (NZE). Nombre d’experts du climat, et les médias à leur suite, ont transformé les résultats du scénario NZE en une feuille de route impérative. Or ce scénario n’est qu’un exercice de prospective normative, utile pour cadrer la réflexion mais absolument inapplicable en pratique.

Le 31 janvier, un coup de gueule de Jean-Noël Ferrié contre la désinvolture des politiques (à droite notamment) qui dénoncent le Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel et le régime représentatif

Les réactions d'Eric Ciotti et de Laurent Wauquiez à la censure de la loi Immigration, le premier parlant de «hold-up démocratique» et le second de «coup d'Etat de droit», sont choquantes. Au-delà du ridicule de cette posture se pose  plus largement la question préoccupante de la culture du constitutionnalisme ou, plus exactement, de son inculture généralisée. De ce point de vue, la responsabilité des acteurs politiques et des commentateurs médiatiques apparaît considérable, lorsqu'ils opposent la décision du Conseil constitutionnel et les « attentes des Français »

Le 30 janvier, un point de vue d’Eric Dufeil sur le pari de Sanchez avec les indépendantistes (lesquels, entretemps, ont encore fait des leurs…)

L’Espagne et l’amnistie

Le Parlement espagnol commencera aujourd’hui à examiner le projet de loi qui prévoit de clore les poursuites liées à la tentative de sécession catalane de 2017. Quels en sont les enjeux, et comment le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez en est-il venu à proposer ce texte ?

Le 29 janvier 2024, un nouvel article inquiet de Mark Kesselman sur les possibilités ouvertes par le retour de Trump au pouvoir.

Le crépuscule de la démocratie américaine

Le premier mandat de Trump peut être considéré comme une répétition générale pour son deuxième. Mais cette fois, il sera plus expérimenté et mieux préparé, grâce à l’organisation d’une bureaucratie docile et d’un programme détaillé prêt à être mis en œuvre.

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