(Après tout, c'est samedi !)
Dubaï, le 2 décembre. La nouvelle est passée inaperçue. Il y a cinq ans, pour chaque dollar investi dans les combustibles fossiles, le même montant était investi dans les énergies propres. Cette année, pour chaque dollar investi dans les combustibles fossiles, 1,8 dollar va aux énergies propres.
Spectaculaire, non ?
Moins, nous direz-vous, que les deux records consécutifs de l’année la plus chaude jamais enregistrée en France.
Mais l’accélération en cours sur le front de la transition énergétique est quand même remarquable.
C’est vrai, sur Telos on a tendance à chercher la petite bête. À se demander si tous ces dollars iront au bon endroit. À suspecter une gabegie. Des surcapacités. Des voies sans issues. Des enthousiasmes mal placés.
Mais que voulez-vous, c’est notre rôle de watchdog. Ce qu’on attend de nous, c’est d’aller regarder ce qui cloche dans l’éolien offshore européen. De chipoter Jean Pisani et Selma Mahfouz quand, dans leur louable tentative de chiffrer le coût de la transition, ils retombent dans la vieille habitude de taxer tout ce qui bouge & de faire de la dette.
Mais il nous arrive aussi de nous aventurer dans des exercices de prospective ou, sans trop s’inquiéter des chiffres, de traquer les signaux faibles, sur les nouveaux modèles d’affaires fondés sur la sobriété.
Au fond de tout cela, il y a une double conviction.
Tout d’abord ce n’est pas par la morale ou les petits gestes que nous parviendrons à relever le défi de la transition, mais par une profonde transformation de l’économie mondiale. Ce sont les investissements qui feront la différence.
Ensuite, une fois les forces du marché mises en marche, elles sont irrépressibles. Mais il faut les lancer. Amorcer avec des fonds publics. Contraindre avec des règles (pas trop bêtes non plus !). Inciter. Faire des choix collectifs. Bref, l’État est de retour dans le jeu.
Un auditeur nous interrompt.
– Et la décroissance, Monsieur Telos ?
– Vous n’y pensez pas, mon jeune ami. Écoutez Éric Chaney, qui y a consacré un excellent article en 2021. Il pointe d’abord, chiffre à l’appui, les tendances à la baisse des émissions. Puis répond à votre question.
« Imaginons que la baisse du revenu par habitant puisse se faire sans plonger la société dans le chaos – certains décroissantistes prônant d’y associer une redistribution massive des richesses. La probabilité d’y parvenir dans une démocratie libérale paraît faible, mais suivons néanmoins cette hypothèse. Il est probable que les émissions baisseraient plus vite dans un premier temps, comme on a pu le constater en 2020, où la paix sociale fut financée par l’endettement. Mais, à mesure que les ressources financières s’amenuiseraient, l’intensité technologique de l’économie diminuerait, et avec elle le facteur à l’origine de la dématérialisation de l’économie et de la baisse des émissions. »
Bref : des croissants, oui, décroissance, non.
(Le papier d’Éric Chaney vaut vraiment d’être lu. Il s’appelle « Critique de la raison décroissantiste » et il a été publié le 20 septembre 2021.)
Et cette semaine, il y avait quoi au menu de Telos ?
Un coup de gueule de Riccardo Perissich, le 27 novembre :
Les risques politiques du piège identitaire
L’obsession coloniale qui hante une partie du sud global a ses raisons, tout comme les problèmes de ceux qui, en Occident, en sont issus ou s’y réfèrent. Mais la fixation du « décolonialisme » sur Israël est un révélateur des errances d’une idéologie qui rencontre, en miroir, celle de la droite identitaire.
Un petit cours de sociologie par Julien Damon, le 28 novembre :
Bourdieu vs Boudon: une introduction
Pierre Bourdieu et Raymond Boudon sont des sociologues contrastés, avec deux visions différentes de l’homo sociologicus. Il y a bien du vrai dans cette opposition. Mais il importe de connaître les perspectives, au-delà des caricatures.
Une réflexion un peu amère de Jacques Fayette, le 29 novembre :
Jamais les politiques européennes n’ont été aussi dépendantes de politiques nationales, elles-mêmes fluctuantes en fonction d’élections guettées par les pays partenaires. L’UE est en train de démontrer qu’une coopération reposant sur 27 centres de décision est ingérable. Peut-on faire mieux ?
Un petit tour avec Jean-François Drevet dans ce qu’on appelait jadis la Transcaucasie, le 30 novembre
Les nouveaux défis de l’UE dans le Caucase
Parce qu’elle vient d’augmenter fortement ses importations de gaz naturel en provenance de l’Azerbaïdjan et qu’elle est sur le point de reconnaître à la Géorgie le statut de candidate à l’adhésion, l’UE va se trouver projetée dans les affaires complexes du Caucase. Comment évaluer son rôle à venir, au-delà de la politique européenne de voisinage qu’elle y pratique depuis 2003 ?
Et enfin un papier très complet de Pierre-André Buigues et Élie Cohen sur les évolutions et circonvolutions du régime européen des aides d’État, le 1er décembre
Aides d’État : comment l’Europe a changé son fusil d’épaule
Par le passé, des critiques ont été adressées à la Commission européenne qui, pour préserver les conditions de la concurrence au sein du marché unique, n’autorisait guère les aides d’État. Elle aurait tardé à considérer que parfois le marché pertinent était mondial et non européen, et elle n’aurait pas su tirer les conséquences de la militarisation des échanges. Tout cela a changé en quelques années. Mais cette permissivité nouvelle pourrait entraîner des tensions intracommunautaires.
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