Grâce aux Argentins, on va enfin savoir ce que c’est !
Paris et Buenos Aires, le 25 novembre. On connaissait la philosophie à coups de marteau ; Javier Milei invente la politique à la tronçonneuse.
Pauvres Argentins.
Mais qu’ils se consolent ! Les Français les ont devancés.
Car cet ultralibéralisme dont ils vont faire la douloureuse expérience, la France s’y est déjà abîmée corps et âme, che !
Depuis quand ? Personne n’en est très sûr. Hollande avec sa terrible politique de l’offre (celle qui a, une fois encore, détruit le modèle social) ?
Sarkozy, ce vendu au grand capital ? Jospin, ce social-traître ? Mauroy, ce thatchérien austéritaire ?
Le débat fait rage. Certains citent Guy Mollet, ce vassal de l’Europe des marchands. Mais tous les experts s’accordent : l’enfer, le vrai, a commencé en 2017.
Des sages nous ont pourtant alertés. Exilé à Londres, Jean-Pierre Chevènement lance ainsi son fameux appel de 2018. « Il faut sortir de l'ultra-libéralisme et revenir à la République. »
Chevènement n’ayant pas été entendu, la maire de Nantes et n°2 du PS, Johana Rolland, reprend l’an dernier le flambeau de la résistance : « Face à un ultralibéralisme de plus en plus débridé, notre feuille de route est de construire une alternative de gauche. »
Le lecteur attentif aura noté une divergence typographique. L’ultra-libéralisme est-il un ultralibéralisme ? Rien n’est moins sûr. Pourtant les luttes semblent converger.
Sandrine Rousseau converge elle aussi. Ayant réalisé, vers le 15 avril 2022, que Jean-Luc Mélenchon ne serait pas présent au second tour de la présidentielle, elle déclare qu’elle votera Macron, tout en exprimant d’assez fortes réserves. Le journaliste de Reporterre qui recueille ses propos ayant lui aussi ses propres idées, nous choisissons de citer l’entretien avec la typographie qui convient : celle d’un dialogue philosophique, à la manière de Diderot ou Lahontan.
Le journaliste. – Ce n’est pas seulement une question de personne. Que représente-t-il, en fait ?
La députée. – Une politique ultralibérale des années 1980. C’est cela qui est fou ! L’histoire du RSA avec les 15 ou 20 heures par semaine de travaux dus à la collectivité, cela avait été mis en place en Allemagne avant Angela Merkel !
Telos sans filtre, en aparte. – Oui, sous le socialiste ultralibéral Schröder. Mais le principe a été posé sous le centriste ultralibéral Adenauer en 1961. Et la grande référence du workfare, c’est le démocrate ultralibéral Bill Clinton.
Le journaliste, poursuivant sans avoir entendu. – N’est-il pas dans la continuité d’une droite française très brutale ?
Revenons sur terre. Ce mythe très français de l’ultralibéralisme débridé qui ravagerait notre pays a l’avantage précieux de mettre une partie de la gauche (et de la presse) à l’unisson. Sans doute parce qu’il n’a guère de consistance. Le Monde s’en amusait en consacrant un édito, en décembre 2004, à Pascal Lamy, « Ultralibéral à Paris, "régulateur" à Bruxelles ».
La baudruche de l’ultralibéralisme a ceci de particulier qu’on trouve toujours quelqu’un pour la regonfler. Dans un article publié sur Telos en mai dernier, l’économiste Élie Cohen a cherché à comprendre pourquoi. Il pointe plusieurs raisons, dont « une distorsion des perceptions » :
« Nous avons tendance à transposer à la France ce qui ne la concerne pas. La révolution conservatrice a eu lieu au Royaume-Uni et aux États-Unis, pas en France ! Oui, les inégalités ont fortement crû en Amérique, pas en France où les dernières études de l’INSEE montrent l’efficacité de notre système de redistribution ; oui, le partage de la valeur ajoutée s’est fait en faveur du capital en Amérique et même en Allemagne, mais pas en France ; oui les, finances publiques ont été assainies chez nos partenaires européens, mais pas en France. » (« Le mythe du tournant néolibéral », 17 mai 2023)
Et les Argentins dans tout cela ? On leur souhaite bien du courage avec ce nouveau président qui n’a pas l’air d’avoir toute sa tête. Deux papiers publiés sur Telos ces dernières années vous aideront à expliquer la force du rejet du péronisme, qui est l’un des grands ressorts de son élection : « Argentine: les trois raisons d’un échec » (Marta Domínguez-Jiménez, le 21 octobre 2019) et « Haute tension en Argentine : les suites de l’affaire du juge Nisman » (Renée Fregosi, le 15 janvier 2018).
Salaires : la primauté de la négociation collective
Gilbert Cette, 20 novembre
La question des salaires revient au premier plan. Ça tombe bien, le 16 octobre a été annoncée la création d’un Haut Conseil des rémunérations qui permettra peut-être de réconcilier des analyses souvent divergentes chez des acteurs sociaux ne vivant pas tous sur la même planète. Trois sujets au moins demandent à être traités : les minima de branche, les désincitations à la mobilité salariale au voisinage du Smic, et le financement de la détérioration des termes de l’échange.
La gauche et Mélenchon : et après ?
Gérard Grunberg, 21 novembre
Le refus de Jean-Luc Mélenchon de participer à la marche contre l’antisémitisme a sonné l’heure du réveil pour les leaders et les médias de gauche. Il est grand temps de s’interroger sur les erreurs commises depuis 2017, qui ont largement contribué à sa situation actuelle d’extrême faiblesse électorale et, plus grave encore, d’extrême incertitude sur ce que sont ses valeurs fondamentales. Mais c’est surtout la question des futures alliances qui est posée.
« Agent étranger » : le retour discret du totalitarisme
Kristian Feigelson & Valery Laigre, 22 novembre
L’étiquette « agent étranger », apposée à des organisations et à des personnes, marque une évolution très inquiétante de la Russie contemporaine. Au fil des lois, la pénalisation de l’opinion se fait de plus en plus marquante et le pouvoir des tribunaux de plus en plus discrétionnaire. L’espace public en est atrophié, privé de ressources contre la propagande. Cette dérive, entamée il y a une douzaine d’années et accélérée depuis l’attaque contre l’Ukraine, signale la réactivation méthodique des procédés du totalitarisme soviétique.
L’enfance nue. Le récit d’un enfant de troupe
Une note de lecture de Monique Dagnaud, 23 novembre
Souviens-toi de moi dans les ténèbres : derrière ce titre désespéré emprunté à Claudel se cache le récit d’une enfance hors norme, un témoignage d’entomologiste sur les violences psychologiques intrafamiliales. Par rapport à d’autres biographies sur l’enfance malheureuse, celle de Thierry Gineste n’invoque pas l’injustice sociale ou la fatalité. Elle convoque une seule responsabilité : celle d’une mère.
Discipline budgétaire: une leçon allemande
Charles Wyplosz, 24 novembre
Le 15 novembre dernier, la Cour constitutionnelle allemande a interdit au gouvernement d’utiliser 60 milliards d’euros pour financer son programme de lutte contre le changement climatique. Cette somme était ce qui restait d’un fonds constitué en 2021 pour faire face à la pandémie. Le jugement pourrait aussi affecter quelque 200 milliards supplémentaires mis de côté pour aider à la reprise économique. Les 60 milliards représentent 1,4% du PIB, les 200 milliards 4,5%, ce n’est pas rien. Cette décision illustre la manière dont l’Allemagne est arrivée à contrôler sa dette publique. En creux, elle explique pourquoi la France n’y arrive pas.